Nouvelle -- qui va avec le roman -- mais dont je ne me souviens pas l'année... Je devrais rajouter une section sur ce site ^^ En attendant, avant de perdre mon texte pour de bon, le voici !
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Viviane Kermabon surfait sur la toile quand elle eut soudain une idée de génie, une idée qui, même si elle ne le savait pas encore, allait changer sa vie.
Ce matin-là, assise en terrasse au Starbucks de San Diego, elle sirotait nonchalamment un café latte saupoudré de vanille, tout en répondant à la centaine d’emails qui avaient fait leur apparition pendant la nuit. Il faisait beau, le mois de mai tirait sur sa fin, les vacances d’été pointaient leur nez. Il ne lui restait plus que quelques jours pour préparer son déménagement prévu la semaine suivante. Elle allait enfin rentrer en Bretagne, cette fois-ci pour y rester définitivement.
Menant une brillante carrière de professeur à l’Université de Californie, elle n’avait pas eu trop de mal à décrocher un poste à l’Université de Bretagne Sud et s’était vu confier la direction d’un nouveau laboratoire de physique quantique. C’était sûr, elle aurait du travail par-dessus la tête dès le mois de septembre, il lui fallait trouver quelque chose pour décompresser pendant l’été, pour se vider la tête afin de faire peau neuve pour la rentrée. C’est en pensant à ses vacances en Bretagne que les doigts de Viviane tapotèrent rapidement les mots-clefs magiques sous Google: “Festival Interceltique Lorient”. Elle passa en revue les différents concerts proposés. Elle hésita à prendre un billet pour Texas, le groupe star de l’année 2011, puis se ravisa. Elle voulait rencontrer de petits groupes, inconnus du grand public, des diamants bruts. Seulement voilà, comment trouver la perle rare parmi tous les petits groupes du festival ? C’est alors
qu’elle eut une merveilleuse idée: devenir bénévole au FIL ! Elle fut agréablement
surprise de voir que le festival cherchait encore des bénévoles et postula immédiatement dans la catégorie interprète, son anglais étant parfait.
Une semaine plus tard, alors qu’elle était à l’aéroport de San Diego et s’apprêtait à quitter l’Amérique définitivement, elle reçut un email sur son portable: sa candidature avait été acceptée ! Le voile de nostalgie qui l’avait envahie à son arrivée au terminal se leva soudain, laissant place à une bonne humeur qui ne la quitterait plus jusqu’au mois d’août.
Le jeudi 4 août 2011, ce fut la première réunion des interprètes au palais de congrès de Lorient. Viviane se vit attribuer deux groupes de Cornouailles : le groupe folk Pentorr et le groupe de danseurs Bolingey Troyl. Le soir même, elle se renseignait sur ses deux groupes sur le web, impatiente de rencontrer les artistes. Elle n’eut pas longtemps à attendre : le lendemain, ils débarquaient en Bretagne. La prise de contact fut des plus amicale, une ambiance joyeuse régnait à la cantine du Lycée Dupuy de Lôme. Rendez-vous pris pour le lendemain, la soirée s’annonçait des plus prometteuses.
Ayant abandonné ses groupes qui, exténués, préféraient se reposer avant les premiers spectacles prévus pour le lendemain, Viviane décida de flâner en ville. Les rues étaient déjà gorgées des premiers festivaliers, de nombreux groupes jouaient dans les bars de la rue Jules Ferry. Elle s’attarda un moment près de l’un deux puis continua son chemin jusqu’à la Taverne du Roi Morvan. Un petit groupe d’Irlandais jouait des morceaux traditionnels de musique folk. Tout de suite, la jeune femme se sentit en Irlande, pays qu’elle avait visité quelques années auparavant. Elle resta longtemps admirer les musiciens, émerveillée par la volupté des doigts parcourant la flûte, la précision de l’archer sur les cordes du violon qui ne jouait aucune fausse note.
Après avoir enchaîné une vingtaine de morceaux, le groupe s’accorda une petite pause arrosée de Guinness et de Kilkenny. Le violoniste qui l’avait remarquée lui proposa une bière qu’elle accepta avec grand plaisir. Ils commencèrent à discuter du festival puis de l’Irlande en général. Avec étonnement, Viviane apprit que le bel Irlandais avec qui elle était en train de discuter venait de Eyeries, un petit village de la péninsule de Beara qu’elle avait visité quelques années auparavant. Plus ils conversaient, plus Viviane avait l’impression de connaître l’étranger, sans pour autant comprendre pourquoi.
Ce fut lorsqu’elle évoqua le pub le plus haut d’Irlande, situé près de Kenmare, que la jeune femme comprit enfin son trouble. Elle avait déjà croisé cet homme, elle se rappelait maintenant avoir déjà été troublée par ses beaux yeux bleus irlandais : c’était six ans auparavant, lors d’une soirée improvisée dans ce bar perdu en haut d’une colline. Au même moment, elle put lire dans le regard de son interlocuteur que lui aussi venait enfin de se souvenir qu’ils s’étaient déjà rencontrés, le temps d’une soirée.
La discussion reprit alors de plus belle, les deux jeunes gens se remémorant cette soirée d’automne 2005 où une guerre musicale s’était déclarée entre les musiciens anglais et les musiciens irlandais qui animaient le pub. Ils rirent de bon cœur en parlant du peintre du village, qui avait alors insisté pour que Viviane visite sa galerie le lendemain.
Soudain, à leur grand étonnement, le bar annonça sa fermeture imminente : il était déjà 2 heures du matin, ils n’avaient pas vu le temps passer. Ils se donnèrent rendez-vous au même endroit pour le surlendemain, les deux ayant des activités programmées pour le lendemain soir.
Le lendemain midi, à la réunion des interprètes, Viviane avait du mal à émerger. Elle n’avait pas beaucoup dormi la nuit précédente, toute excitée par la rencontre improbable qui avait eu lieu. Elle avait repensé à celui qu’elle surnommait désormais son prince charmant entre sommeil et état végétatif. Sa binôme la sortit de ses songes :
- Viviane, Viviane !!!
- Oui ? Pardon...
- Alors c’est ok pour ce soir, tu t’occupes des Pentorr et moi des Bolingey ?
- Oui bien sûr, pas de problème !
L’après-midi passa bien vite, entre réservation de sandwichs et flânerie le long du quai de la Bretagne. Elle avait donné rendez-vous à son groupe à 18h pour les balances, ceux-ci devant se produire sur scène des 21h, au quai de la Bretagne. Dès qu’ils arrivèrent, elle assista ses protégés pour les réglages, puis s’occupa de les emmener à leur loge. Ensuite, l’attente fut un peu longue, les musiciens stressés n’étaient pas très bavards. Vint enfin le moment tant attendu : les artistes furent appelés à monter sur scène. Viviane se plaça auprès des ingés son, prête pour toute éventualité. Le concert démarra. Ce furent 1h30 de bonheur, avec l’immense privilège d’admirer les musiciens depuis le coté de la scène. Le public était surexcité, le groupe fit un carton !
Le lendemain démarra de la même façon que tous les autres jours : par la réunion des interprètes. Tous s’assuraient que le planning était bien ficelé, que les déplacements étaient arrangés. Ensuite, ce fut la première conférence de presse. C’était aussi la première conférence de presse de Viviane, les interprètes ne furent pas trop de deux pour assister le groupe folk et traduire à la volée questions et réponses. Les journalistes revinrent sur le succès du groupe la veille au soir. Les musiciens jouèrent un de leurs morceaux fétiches et puis ce fut autour d’un groupe de l’Ile de Man de s’exprimer. La conférence de presse à peine terminée, il fallut courir pour commander des sandwichs puis rejoindre le groupe de danse pour leur première performance à l’espace Marine.
Tout se déroula à merveille. Les danseurs évoluaient avec rapidité et légèreté,
présentant danses traditionnelles et nouvelles chorégraphies de leur cru. Viviane les regarda se déplacer avec plaisir. Elle aurait bien dansé avec eux, ses jambes la démangeaient. Elle se promit de se renseigner pour rejoindre un cercle de danse à l’automne. Elle en avait longtemps rêvé, lorsqu’elle était lycéenne, mais était trop occupée à l’époque par ses diverses activités sportives.
La performance terminée, ils se dirigèrent tous vers le réfectoire afin de reprendre
quelques forces pour la soirée. Viviane était impatiente de revoir son prince Irlandais, elle avait du mal à se concentrer sur la conversation. Après le repas, le groupe se dispersa en sous-groupes et elle se joignit à l’un d’eux pour aller se dégourdir les jambes salle Carnot. Plus qu’une heure avant son rendez-vous, danser allait la calmer !
Vers 23h, elle prit congé de ses nouveaux amis et se rendit à la vitesse de la lumière à la Taverne du Roi Morvan. Elle chercha son Irlandais un moment mais ne le vit pas. De dépit, elle s’installa à une table en compagnie d’une Kilkenny. Ce fut avec une demi-heure de retard qu’il pointa enfin son nez : il avait été retenu par ses amis, ne trouvant pas de prétexte pour s’éclipser. Ce retard fut bien vite oublié. De toute évidence, les deux amis étaient heureux de se retrouver. Viviane utilisa ce prétexte pour lui demander son numéro de téléphone, histoire de pouvoir se contacter si cela se reproduisait. Il le lui donna sur le champ. C’est alors que Viviane réalisa qu’elle ne connaissait même pas son
nom, ils n’avaient pas pensé à se l’échanger, sans doute parce que celui de Viviane était clairement écrit sur son badge. « James » lui répondit-il. Elle rigola devant tant de banalité, à croire que tous les Irlandais s’appellent James ou Sean !
Cette seconde soirée en tête à tête fut à l’image de la première. Rires et anecdotes furent échangés. Puis ils se racontèrent leur vie un peu plus en détail. Elle fut surprise lorsque James lui demanda si elle était déjà sortie avec un Irlandais. Elle s’entendit bafouiller avant de répondre, gênée, les joues toutes rouges que « non, pas encore ». Voyant sa gêne, il enchaîna sur des questions bien moins personnelles : films préférés, musiques préférées, plats préférés. Cependant, Viviane était un peu mal à l’aise car cela ressemblait plus à un test de compatibilité qu’autre chose. C’est finalement elle qui le réorienta sur le violon, ce qui s’avéra être une source de conversation intarissable. Elle
apprit d’ailleurs que bien que ce soit sa passion, ce n’était pas son métier : il était écrivain ! Encore une fois, le bar ferma et ils durent rentrer chacun de leur côté, mais se donnèrent rendez-vous pour dîner le lendemain soir.
La journée suivante passa très vite. Bien que l’emploi du temps soit complètement différent chaque jour, il était ponctué de réunions, concerts et conférences de presse. La machine était lancée, tout fonctionnait parfaitement. Vers 18h, Viviane retrouva James pour dîner. Elle avait pour mission de choisir le restaurant, mais ce n’était pas une tache facile lorsque l’on connaît encore très peu la personne. Gastronomique ? Café ? Pizzeria ? Quelle fourchette de prix ? Finalement, elle opta pour une solution intermédiaire et choisit un restaurant simple où étaient servies des moules frites. Étant partie de la région pendant plusieurs années, elle ne connaissait pas les restaurants de Lorient à part celui-là car elle y avait dîné en compagnie du commandant de police qui avait enquêté sur la mort de son frère l’été précédent.
C’est donc tout naturellement que cette fois-ci la conversation se trouva beaucoup plus sérieuse, beaucoup plus personnelle. Viviane raconta à James les circonstances qui l’avaient amenée à dîner dans ce même endroit, un an plus tôt jour pour jour. C’est d’avoir vu les membres de sa famille mourir de concert que Viviane avait réalisé que la Bretagne lui manquait. Elle avait éprouvé le besoin de renouer avec ses racines, d’autant plus qu’un de ses proches attendait d’être jugé en prison. Il fallut à Viviane toute la durée du repas pour raconter cette histoire à la fois compliquée, longue et douloureuse. C’est seulement quand elle eut fini qu’elle réalisa que c’était peut-être beaucoup d’informations pour quelqu’un qu’elle venait juste de rencontrer. Mais, à sa grande surprise, cette conversation les rapprocha. James avait lui-même un frère qui avait fait injustement de la prison alors qu’il oeuvrait pour la libération de son pays.
Ils durent malheureusement se séparer sur ces histoires chargées d’émotion : Viviane devait accompagner les Pentorr à Ploemeur. Lorsqu’ils arrivèrent à la petite cité côtière, la pluie commença à tomber. Le chaos régnait, les balances s’avérèrent plus difficiles à régler que prévu. Néanmoins, ils parvinrent à commencer le concert à l’heure. Malgré la pluie, une centaine de passants courageux s’étaient attroupés au pied du podium. Certains dansèrent pour se réchauffer au rythme du violon et de la guitare cornouaillais. La pluie amplifia, Viviane était gelée. Ce fut lorsqu’ils jouaient leur dernier morceau que la pluie eut finalement raison de l’équipement électrique. Les concerts suivants durent être annulés. Un mal pour un bien finalement puisque Viviane enchaîna avec une Nuit Interceltique au stade du Moustoir, en compagnie de sa meilleure amie Marie qui l’y attendait déjà. Les deux jeunes femmes trouvèrent un endroit abrité et se délectèrent du spectacle magnifique malgré les conditions déplorables. À la fin du spectacle, étant trempées, elles se dépêchèrent pour regagner la voiture et rentrer.
Les jours suivants furent rythmés de la même façon. Viviane et James s’accordaient des moments privilégiés dès qu’ils le pouvaient et leurs sentiments grandissaient au fur et à mesure. Le dernier samedi, après un dîner en tête-à-tête, elle le raccompagna à son hôtel. Au moment de se séparer, pour la première fois, il l’embrassa. Viviane n’avait jamais vécu quelque chose de semblable. Elle sentait que c’était l’homme de sa vie. Les deux amoureux étaient sur la même longueur d’onde. Leur harmonie grandissait lentement, mais sûrement.
Le dimanche arriva bien trop vite. C’était déjà le temps des adieux. Viviane n’eut pas le cœur à flâner au festival ce jour-là, James et elle décidèrent de se retrouver à l’aéroport. Blottie dans les bras de son prince, elle eut un pincement au cœur lorsque l’embarquement pour Dublin fut annoncé. Elle avait la gorge serrée, envie de pleurer, mais tous deux s’efforçaient de sourire afin de graver une image positive dans leurs mémoires. De la baie vitrée, elle put le voir monter dans l’avion. Puis celui-ci démarra et entama le roulage. Elle regarda l’avion décoller. Il emmenait l’amour de sa vie. Elle serra son portable contre son cœur comptant déjà les minutes impatiemment jusqu’à l’atterrissage à Dublin.
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